jeudi 6 juin 2013

Sémiodialogie : résultats d'une recherche action

Capitaliser et transmettre les résultats de 30 ans de recherche opérationnelle

Ce blog - francisjacq - expose les résultats de 30 ans de recherche opérationnelle, de 1978 à 2008. J'ai en effet tenu une position de chercheur en situation, position adaptée à mon objet d'études : la construction d'énoncés de certitude dans les interactions de travail. Ces résultats renouvellent la science des signes, dite sémiotique ou sémiologique, en introduisant une nouvelle science : la Sémiodialogie, la sémiologie des interactions dialogiques.
Formé par Gérard Genette, en 1979, mon mémoire pour le diplôme de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales a été consacré à la critique de l'œuvre de Mikhail Bakhtine, théoricien russe du polyphonisme et du dialogisme. Puis, pour mon Doctorat en Philosophie à Paris I soutenu en 1984, j'ai été encouragé par les philosophes Pierre Macherey et Jean-Toussaint Desanti pour aménager une position de chercheur praticien dans le cadre d'une formation à la qualité impliquant des monteuses câbleuses de cartes électroniques. Aussi ma thèse de doctorat a eu pour titre : "La philosophie en ouvrière".
Ici, au moment de prendre ma retraite, en capitalisant cette recherche opérationnelle menée toute une vie, je souhaite formaliser sur un plan théorique les différents dispositifs sémio dialogiques que j'ai monté.

De la refondation de l'organisation du travail au changement perpétuel

Considérons rétrospectivement le contexte des entreprises lorsque j'ai commencé ma carrière professionnelle. En 1970-80. Les maîtres mots étaient "Changement !", "Management d'équipe", "Automatisation", "Capacité d'autonomie", "Responsabilisation". En 1980-90, les nouveaux slogans ont été "Le client est roi", "Mondialisons l'économie", "Qualité totale", "Performance globale", etc. L'organisation du travail bâtie autour des principes de Fayol et de Taylor était remise en cause. Chaque science, chaque courant de pensée proposait de nouveaux principes pour refonder l'action collective.
Cependant, il est apparu qu'une nouvelle doctrine d'organisation était un leurre. Les formes de l'action collective ne pouvaient plus être gravées dans le marbre. L'exigence était l'adaptation permanente aux évolutions : évolution des clients, évolution des conditions de concurrence, évolution des technologies, évolutions des règles conventionnelles et sociales, etc. Les services d'organisation du travail ont disparu, remplacé par les services Qualité et les services Informatiques. Pour mener les évolutions, les directions d'entreprises ont fait appel à des consultants qui maîtrisaient à la fois des savoirs de gestion, des techniques de communication et des procédés d'influence psychologique. Je suis devenu un tel consultant.
La question centrale posée aux consultants n'était pas : "comment agir collectivement ?" mais "comment changer collectivement ?". Par exemple, en 1984, j'ai pu bâtir et animer, à la demande de l'Institut Entreprise et Personnel la première formation française à une conduite globale du changement : "Comment piloter un projet de changement". J'ai ainsi coaché pendant trois ans, une cinquantaine de directeurs de grands projets.
Cependant, il est vite apparu deux sortes de problèmes :
1. Les changements se présentaient à la façon de vagues successives mais partielles, impactant à la marge l'organisation en place. Une vague consistait en une nouvelle technologie, une suivante, un nouveau process commercial, une troisième, un nouveau mode de management, une quatrième, une nouvelle méthode d'approvisionnement. Entre les vagues surgissaient des tourbillons et des ondes de choc aux effets non maîtrisés. Mais l'organisation du travail restait globalement ancrée sur les fondations profondes de Fayol et de Taylor.
2. Par conséquent, à tous les niveaux des organisations, les dirigeants, les managers, les employés passaient de plus en plus de temps à bricoler entre eux des ajustements entre des exigences, des moyens, des règles, des valeurs contradictoire. Pour consolider ces ajustements, ils allaient rechercher de façon pragmatique, soit dans le fonds de l'organisation classique du travail, soit dans telle mode managériale influente dans le contexte. Au bout du compte, tel le Sphinx, l'organisation classique revivait plus forte, surchargée d'appendices. Osons le terme d' "organisation baroque". Proposons comme image de cette organisation baroque, ce diablada mexicain.
Diablada © musée du quai Branly, photo Thierry Ollivier, Michel Urtado
Les performances attendues par rapport aux nouvelles normes mondiales n'étaient pas au rendez-vous. Pourquoi ? A la charge de travail s'ajoute la charge des contributions aux projets d'adaptation. Or cette organisation baroque n'apporte plus de façon certaine les ressources adéquates dans les délais souhaitables

La parole entre les incertitudes et les certitudes de l'action

Utilisons cette métaphore. Imaginons un repas où, de façon aléatoire, le plat qui arrive doit être mangé salé, poivré ou sucré, et ce, dans un délai prescrit. Or, le sel, le poivre ou le sucre manque sur la table et il faut aller les demander aux tables voisines. Or, sur les tables voisines, les convives n'ont pas fini d'assaisonner leur plat. Il faut donc repérer la table où le condiment est le plus rapidement en passe d'être disponible, puis de négocier son utilisation provisoire. Dans ce monde tissé d'incertitudes, la question devenait : "Comment construire ensemble, avec le langage, des certitudes adaptées à cette flexibilité permanente ?".
Ce qui apparu central n'était plus le contenu de l'action (saler, poivrer, sucrer) mais la préparation de la réussite de l'action dans un délai prescrit. Et, ce qui est encore plus central, était la compétence à servir du langage pour s'informer, créer de l'influence, négocier.
La compétence à se servir du langage a été développée par de multiples séminaires de communication et de méthodes pédagogiques axées sur l'échange, la confrontation des points de vue, la négociation des ressources.
Au niveau des opérateurs, notons l'extension de la formule des Cercles de Qualité où les opérateurs apprennent à décrire un problème commun, à lui trouver une solution et à négocier cette solution avec l'encadrement. Au plan législatif, en 1981, une des lois de Jean Auroux institue le droit d'expression des salariés sur leurs conditions de travail (loi du 4 aoùt 1982).
Un paradoxe apparaît dans la relation des salariés à leur parole. La prise de parole s'impose lorsqu'il s'agit de préparer l'action collective. Par contre, dès lors que des certitudes ont été mises en place (engagements, promesses, critères de qualités, indicateurs partagés..) l'organisation classique continue d'imposer sa règle : "travailles et tais-toi". Dans le premier temps, le salarié est un sujet qui évalue une situation sous la forme d'un problème. Dans un second temps, il propose et délibère avec son management à propos d'une certitude à partager. Dans le troisième temps, une fois la certitude de la ressource acquise, le salarié devient un agent "aux ordres". Le salarié n'agit plus en tant qu'acteur autonome mais comme délégué de la certitude collective. Reprenons la métaphore du sel. Concrètement, une fois que l'engagement de passer le sel ait été donné par un convive, l'action de saler le plat est réputée accomplie.
Pour être étudiés selon une logique scientifique, ces trois temps logiques dans la parole impliquent la création d'un nouvel objet : l'énonciation. Dans l'énonciation s'articulent les trois relations successives des énoncés par rapport à l'action :
- l'énoncé d'évaluation
- l'énoncé d'existence
- l'énoncé de réalisation
Le schéma ci-dessous montre l'articulation d'ensemble.
Semiodialogie du partage des connaissances
La mise en évidence de l'énonciation amène à examiner les relations entre la linguistique, la sémiologie, la sociologie et la science de l'action. Nous procèderons successivement à ces examens dans la suite de cette page.

Les deux niveaux de la parole : l'énoncé et l'énonciation

"Passe-moi le sel, STP" : cette phrase banale entre convives ne débouche pas toujours une action simple. Cette demande peut entraîner des réactions comme :
"- Tiens, tu trouves que ce n'est pas assez salé ? Tu aimes manger très salé"
"- Arrête le sel, tu as déjà trop de tension !"
Alors, pour obtenir que le sel soit effectivement passé, le demandeur peut justifier sa demande de motifs explicites publiquement affirmés comme :
"- J'aime que la viande rouge soit bien relevée, passe-moi le sel, SVP"
"- Aujourd'hui, c'est la fête ! Je vais oublier mon régime, passe-moi le sel, SVP"
Nous pouvons donc distinguer dans un énoncé deux niveaux :
- le niveau de la signification des mots "passer", "sel", "s'il te plait" qui repose sur des conventions d'association entre un signifiant sonore et un signifié
- le niveau de l'énonciation qui ajuste l'ensemble de l'énoncé au contexte de sa réalisation
Distinguons ce qu'ajoute la notion d'énonciation à la notion de signe. Le sémioticien Charles Sanders Pierce définit ainsi le signe : "un signe est une représentation qui remplace quelque chose pour quelqu'un". Il faut donner au terme "représentation" son sens fort. Par rapport aux autres signes qui l'entourent dans la parole, étant un re-présentant, un redoublement de la présentation, le signe s'engage en lui-même et engage en même temps la chose. Cet engagement dans la parole n'ouvre pas une liberté débridée et fantasmatique. Cet engagement sur deux plans, au plan de la chose concrète et au plan de la parole induit trois niveaux de recherche de conformité.
- l'effet du signe débouche-il sur un discours qui a du sens, rendant possible un engagement ?
- l'engagement pris pour la chose rentre-t-il dans un possible, au plan de l'action, de l'organisation, des normes sociales ou culturelles ?
- y-a-t-il suffisamment de conformité entre l'engagement au plan du discours et l'engagement matériel de la chose ?
Au global, si chaque signifié induit une attente de réalisation d'un engagement, la question est la cohérence de l'addition des attentes des signifiés présents dans un énoncé.
Par analogie, nous définirons l'énonciation ainsi : "une énonciation est une représentation qui engage solidairement l'ensemble des choses signifiées dans un contexte impliquant quelqu'un ".
Cette représentation est biface. D'un coté, si elle donne lieu à énonciation, c'est qu'une Qualité fait défaut, ou qu'une incertitude existe. De l'autre, l'énonciation se présente comme l'annonce d' apport en qualité ou en certitude.
"Passe-moi le sel, SVP" : cette phrase indique une insatisfaction, par exemple un plat jugé sans goùt, mais suggère en même temps que si le sel est passé, l'insatisfaction disparaîtra.
Dans un repas en famille ou entre amis, les contextes de réalisation sont stabilisés, et les ajustements d'énonciation sont faciles à faire.
Par contre, les ajustements d'énonciation deviennent complexes à réaliser dans l'organisation contemporaine. Considérons les équivalents du sel, du poivre, du sucre : un dossier Client, un dossier Fabrication, un dossier Paramétrage informatique. "Passe-moi le dossier Client n°14052, SVP"
Est-ce un ordre, une demande, une suggestion ? Est-ce que le demandeur a le statut propre pour exprimer cette demande au détenteur du dossier ? Est-ce que la personne a le droit de passer le dossier s'il est en cours de procédure ? S'est-elle déjà engagée à passer le dossier à quelqu'un d'autre ? Est-ce une première fois ? Est-ce un signal d'exécution dans une situation banale maintes fois parcourue ?

Relation entre l'objet "énonciation" et l'objet "relations sociales"

Dans les situations courantes, "nous ne croyons pas les gens sur parole". Nous évaluons la pertinence de leur discours à partir de notre connaissance du comment-faire-avec-les-choses et du comment-faire-avec-les-mots. C'est pourquoi la grammaire de la phrase autorise de multiples nuances entre les deux extrêmes que sont l'ordre à exécuter immédiatement et la demande de conseil, en passant par le constat d'une adéquation entre le mot et la chose. L'énoncé est un objet sémiologique : une parole ou un écrit construisent un contexte de réception, et les mots énoncés par l'émetteur influent sur les actions en cours ou possibles. Dans un contexte matériel et relationnel, l'énoncé y construit des signes du contexte de réception, qui sont à interpréter en identifiant un type d'énonciation. Par exemple, le "stoppe tout de suite cette action" sera interprété comme un ordre d'un manager qui est "représentant de la hiérarchie" et à l'égard d'un récepteur qui n'est que "simple subordonné".
L'obéissance exclut l'opération d'évaluation, le constat laisse ouverte la possibilité d'évaluation, le conseil la réclame :
- l'impératif d'obéissance : "Je veux un dossier complet dans deux heures. Exécution !"
- le constat : "Il pleut maintenant".
- la demande de conseil : "J'ai à lui parler. Mais elle fait une drôle de tête ! Est-elle contente ou mécontente ? "
Aussi, l'analyse des signes suggérant telle ou telle nature d'énonciation fait apparaître des relations qui sont produites par des systèmes sociaux. Les relations sociales dans une équipe de travail fonctionnant sur le principe "écoutons celui qui à la compétence" ne seront pas les mêmes que celles qui sont régies par une organisation comprenant 5 niveaux hiérarchiques strictement délimités. Dans l'équipe de travail "compétences", un énoncé comme "stoppe tout de suite cette action" sera interprété comme un bon conseil exprimé dans l'urgence, tandis que dans une organisation très hiérarchisée, "stoppe tout de suite cette action" sera considéré comme un reproche et l'indice d'une sanction ultérieure. L'énonciation actualise une situation sociale.

Articulation de la sémiologie avec les disciplines scientifiques connexes

DEVELOPPEMENT A VENIR
Articulation des énonciations avec la sociologie et l'organisation
DEVELOPPEMENT A VENIR

La sémiodialogie par rapport à la sociologie

DEVELOPPEMENT A VENIR
Les énonciations dans les situations ne peuvent appréhendées qu'en combinant deux sciences : la sémiologie et la sociologie.
DEVELOPPEMENT A VENIR
Articulation semiologie sociologie
DEVELOPPEMENT A VENIR
Articulation sociologie semiologie
DEVELOPPEMENT A VENIR

Un exemple d'intervention sémiodialogique

DEVELOPPEMENT A VENIR
A/ Mettre en évidence toutes les évolutions des métiers et / ou de l'environnement dans lequel évoluent les agents, et les modéliser selon une typologie de "taches-moments interactifs", ou le public devient un acteur aussi important que le collègue ou le hiérarchique
B/ Evaluer ces "taches-moments interactifs" selon différents critères significatifs pour les agents, en évitant la dichotomie normal / pas normal
- Analyser l'articulation de ces "taches-moments interactifs", selon une typologie de modalités d'ajustement et de régulation (appel a tel ou tel niveau hiérarchique, recherche d une qualité relationnelle, réunions d'équipe, occasions de liens entre les agents, etc.)
- Analyser ces "taches-moments interactifs" selon les degrés de reconnaissance de la qualité de leur travail par les collègues, la hiérarchie, les différents publics
- Analyser ces "taches-moments interactifs" selon les conditions de travail, par les collegues , la hiérarchie, les différents publics
- Analyser ces "taches-moments interactifs" selon les #problèmes# rencontrés à l'extérieur du travail par les collègues, la hiérarchie, les différents publics
C/ Comprendre collectivement comment des "taches-moments interactifs" deviennent jugées comme a problème ou difficiles. Je précise >Ces situations ne sont plus occasion de qualification professionnelle, mais de sentiment d embarras [ par ex : réguler verbalement est assimile a une activité féminisante}
D/ Elaborer collectivement de nouvelles méthodes de régulation des "taches-moments interactifs" qui sont jugées comme a problème ou difficiles. Comment transformer un embarras collectif en nouvelles opportunités de qualification professionnelle, Relation de l'objet "énonciation" avec l'objet "organisation"
De fait, ces objets énoncé/énonciation/relations sociales doivent considérés comme modalités de conduite de l'action collective. Il faut considérer une troisième science : la science de l'action ou praxéologie. Cette science se présente sous deux formes, d'une part des réflexions philosophiques (Gilbert Simondon) ou économiques (Ludwig von Mises), d'autre part des principes d'organisation pour augmenter l'efficacité (Taylor, Fayol). Ainsi, Fayol préconise 14 principes : la division du travail, l'autorité, la discipline, l'unité de commandement, l'unité de direction, la subordination des intérêts particuliers à l'intérêt général, la centralisation, la hiérarchie, l'ordre, l'équité, la stabilité du personnel, l'initiative, l'union du personnel.
Ces principes d'organisation de l'action construisent des relations sociales et aboutissent à des recommandations sur les situations d'énonciation. Par exemple, Fayol recommande que chaque employé expose ses problèmes à son supérieur hiérarchique direct et pas au grand patron. Donc, il y a construction d'une relation sociale employé/grand patron telle qu'aucune énonciation n'est possible entre un employé et un grand patron.
Examinons une situation où un cadre est en position n-2 par rapport au grand patron et qu'ils soient amenés à rencontrer tous les jours du fait de la proximité géographique de leurs bureaux. La nécessité de la civilité rendent inévitables des échanges de paroles : ceux-ci porteront sur des sujets externes à la relation employé / supérieur hiérarchique. L'impact de la science de l'action sur la construction et la régulation des relations sociales a induit le développement de la sociologie du travail (Michel Crozier).
Par ailleurs, la sociologie s'est intéressée aux interactions entre différents systèmes de relations sociales. Ainsi, Erving Goffman, dans son essai "L'arrangement des sexes" démonte les situations professionnelles où des cadres supérieurs se font assister par des femmes de bonne présentation et volontiers serviables. Par la conjonction des constructions sociales du "être une femme" et du "servir comme employé", une situation d'énonciation est rendue possible autorisant un énoncé tel que "Sylvie, apportez moi donc un café".
Nous aboutissons à un schéma combinant 4 couches.
Articulation semiologie sociologie organisation
Dans le schéma ci-dessus, considérons la place de l'énoncé. L'énoncé semble apparaître comme la résultante de trois couches : les énonciations possibles, les relations sociales, l'organisation de l'action collective. Selon cette dynamique convergente, la nature de l'énoncé serait conditionnée à 100%. Conditionné d'abord par l'action, ensuite par le social, enfin par le type d'énonciation : la civilité, l'ordre, le conseil..
Notre formulation précédente est imprécise, car à chaque fois nous sommes dans l'action. Précisons les différentes couches. Au niveau de l'organisation de l'action collective, il s'agit de préciser les qui-fait-quoi par rapport aux ressources, aux clients et au cadre règlementaire : finances, technologies, bâtiments, moyens de transport, compétences, personnels. Approximativement, il s'agit des natures de l'action.
Au niveau des relations sociales, il s'agit de fixer les complémentarités et les subordinations entres les différents "qui fait quoi" selon des conventions stables dans le temps. L'action est ici comme un flux articulant les natures d'action. Au niveau des énonciations, nous voyons apparaître les situations de paroles ou d'écritures comme des formalisations, des précisions, des distinctions, des planifications.
Lorsque l'action se déroule sans problèmes, lorsque matières, machines, humains tiennent leurs rôles respectifs en produisant le résultat attendu, pas besoin de parler ou d'écrire. Par contre, paroles et écrits s'imposent lorsqu'il faut préparer l'action, évaluer ses écarts à la norme ou comprendre une défaillance. C'est pourquoi, dans une organisation taylorienne, les ouvriers étaient interdits d'énonciation. Les situations d'énonciations étaient réservées aux ingénieurs, aux techniciens, à la maîtrise.
Cette logique en 3 couches faisant de l'énoncé "un surplus parfois nécessaire" s'accompagne d'un constat. Ce sont les organisateurs de l'action collective qui ont besoin de parler ou d'écrire le plus.
Selon cette première approche faisant de l'énoncé un résultat, aucun énoncé inattendu ne devrait être possible. Ou, si un énoncé inattendu survenait, il serait immédiatement apprécié comme non valide. Or la fréquentation des entreprises montre que les énoncés sont soigneusement encadrés dans leur formulation même si l'on est dans une organisation et des relations stabilisées, où les modalités d'énonciation sont bien identifiées. Il y aurait donc une puissance inhérente à tout énoncé !
D'ailleurs, il existe de rares moments où la parole est donnée sans contrainte de formulation. Nous remarquons que ces paroles sont positionnées dans des lieux qui sont extérieurs à l'organisation des activités et où les relations sociales sont flottantes. Comme exemple de ces lieux : les groupes de formation, les cercles de qualités, les réseaux d'innovateurs, les communautés d'échanges de pratiques, les groupes de clients ou de consommateurs.
Articulation semiologie sociologie organization enoncés possibles
DEVELOPPEMENT A VENIR

De la réussite de l'action aux relations logiques entre les types d'énonciation

Comment mieux connaître cette puissance inhérente à un énoncé ? Supposons que l'énoncé ne soit pas un résultat mais une origine ! Nous pouvons poser deux hypothèses :
1/ La structure de l'énoncé (y compris l'énoncé non exprimé), rend possible ces trois niveaux d'interventions sur l'action.
2/ L'énoncé est une parole ou un écrit structurant l'action sans médiation organisationelle, sociale ou énonciative.
Ces deux hypothèses deviennent crédibles si nous considérons non pas un énoncé seul, mais une articulation de trois termes, dont le troisième terme est une action à faire ou un énoncé à dire, à condition qu'une condition de la forme "Si Condition vérifiée / Alors Action réussie" puisse s'appliquer. Il existe un Terme 1 qui crée l'existence d'un Terme 2, Terme 2 qui implique la réussite du Terme 3.
Notons cet enchainement de deux conditions qui est la clé du mécanisme à comprendre. Dans les termes de la logique, cela peut se formuler ainsi :
- Si une Qualité Q existe Alors une Action A (R) est réussie
- Si une Action A (Q) crée cette Qualité Q, Alors la Qualité Q existe Alors l'Action A (R) est réussie
Pour concrétiser cette symbolisation, je propose la situation suivante : une opératrice doit souder sur une carte des résistances et des condensateurs. Les soudures des pattes des résistances sont délicates car les pattes de ce composant sont très courtes, et sont positionnées au milieu de la carte. L'application du fer à souder doit être précise et rapide. Par contre, les soudures sur les pattes des condensateurs sont plus faciles car les pattes sont longues et positionnées sur le pourtour de la carte.
Il y a un choix de priorité : quel composant souder en premier ? La fois précédente, sans instruction de l'agent de maîtrise, l'opératrice, sans réfléchir, a soudé les condensateurs en premier. Elle s'est aperçue que la présence des condensateurs la gênait pour souder les résistances, car il était plus difficile de positionner le fer à souder. Elle a mis plus de temps que ses collègues et s'est attirée des moqueries.
L'action à réussir est ici "souder rapidement". La condition pour cette soudure rapide est un accès aisé aux résistances. L'opératrice se le formule ainsi, ou bien se l'entend formuler par une collègue. Enoncé "Si Alors" : Si Q "accès aisé aux résistances" Alors A (R) "temps rapide de soudure"
D'autre part, Q "Accès aisé aux résistances" sera vérifié par la condition "contours libres de la carte". La reformulation en "contours libres de la carte" permet d'envisager une action immédiatement réalisable. Pour laisser les "contours de la carte libres", l'opératrice se donne comme action à faire :
Enoncé A(Q) crée Q : "En soudant les condensateurs après les résistances, les contours restent libres"
Que nous apprend cet exemple ? Il nous apprend que deux énoncés articulés l'un à l'autre vont être capables de restructurer une suite d'actions en intercalant une Action inédite qui a comme effet la création d'une Qualité. Créée, cette Qualité existe. Cette Qualité permet alors la réussite d'une action qui était problématique. Cette formule peut se synthétiser ainsi :
Action inédite / SI Qualité créée donc existante / ALORS Action à problème réussie.
Ce qui est important à noter est que la Qualité doit exister de façon explicite. Cela ne suffit pas qu'elle soit un état spontané du monde. Il faut que la Qualité soit prouvée. Spontanément l'opératrice peut souder les résistances en premier, les contours de la carte électronique étant libres, mais elle ne réalise pas que cette liberté des contours est une Qualité qui conditionne sa performance.
Nous voyons ce qu'apporte le langage. Le langage nomme les qualités. L'opératrice peut se dire "les contours libres de la carte électronique me permettent de souder facilement les résistances". L'énoncé de la Qualité est en lui-même la preuve que la Qualité existe réellement. La Qualité se révèle comme le résultat d'un choix.
Le langage apporte une autre propriété : dans la suite du flux des actions concrètes, il suggère la possibilité d'une Action inédite qui créée une Qualité garantissant la réussite des futures actions.Par exemple, une collègue ou l'agent de maîtrise de notre opératrice pourra lui dire : "Soude les condensateurs le plus tard possible, le centre de la carte sera plus facile à souder".
Articulation entre les énonces et les actions
Usuellement, en fait depuis Platon, on considère que le langage est un système de signes représentant des choses. Aussi, il serait possible de faire un tri entre les signes "vrais" et les signes "imaginaires" ou "mensongers". Nous proposons d'inverser le rapport des signes et des choses : ce sont les choses qui ont à se présenter devant les signes ! C'est à la chose de prouver qu'elle présente la Qualité formulé par le signe.
Selon que les choses se présentent ou non, les actions qui suivent ne seront pas les mêmes. Si la Qualité n'est pas présente ou partiellement présente, que faut-il faire, puisque le "Si Alors" ne fonctionne pas. L'enjeu n'est pas dans la vérité des signes mais dans la Qualité des choses, car cette Qualité des choses induit le choix de l'action et de sa réussite.
DEVELOPPEMENT A VENIR
Remontons de plusieurs milliers d'années au début de l'élevage. Considérons un vacher qui s'assure que toutes les vaches rentrent le soir à l'étable. Si elles sont toutes présentes, alors il pourra s'occuper de son diner. Si une ou deux vaches manquent, alors le vacher consacrera une partie de sa soirée à les chercher. Jusqu'à dix, le vacher peut compter les vaches qui rentrent avec ses dix doigts : un doigt par vache. Au-delà, la technique était de faire une liste d'entailles sur une tablette d'argile. Par exemple, 45 entailles pour 45 vaches.
L'action de compter les vaches présentes selon ces entailles n'a pas la même nature que les actions à faire ou à ne pas faire, les actions finales. L'action de compter sera définie comme une "action symbolique" car elle s'appuie sur une symbolique d'équivalence : une entaille = une vache. Nous reformulerons la suite des conditions ainsi :
Action symbolique / Qualité créée donc existante / ALORS Action à problème réussie Compter les 50 vaches à l'aide de 50 entailles / Deux entailles n'ont pas de vaches correspondantes / ALORS le vacher part à la recherche de deux vaches
Le chiffre "deux" indique précisément la Qualité à satisfaire : il n'y a que deux vaches à retrouver et à ramener à l'étable.
Le signe symbolique précis qui met en attente une chose de façon à créer une Qualité, sera nommé une Référence. La référence est une Qualité symbolisée, assurant la réussite de l'action à faire. Lorsque les choses correspondent à la Référence, l'action s'arrête.
Par exemple, le schéma d'implémentation utilisée par l'opératrice déjà évoquée comportera une indication des implémentations des résistances, résistances numérotées de R1 à R17. Le soudage des résistances s'arrêtera avec la résistance R17. C'est ainsi que dans le cadre des politiques Qualité, les entreprises constituent des documentions fournissant des Références pour toutes les activités sensibles aux aléas et aux incertitudes.
Semiodialogie : le transformation de l'objet prédiqué en sujet de l'action
La tablette d'argile aux cinquante entailles est une Référence simple. Mais les historiens y voient la naissance de l'écriture et de l'effet de l'écriture sur le langage oral. Plus tard, les livres de comptes, les listes de marchandises, les cadastres se nourriront d'énoncés associant aux chiffres noms et détails des qualités. Puis viendront les textes militaires et politiques planifiant les actions dans le temps et impliquant les différents décideurs par des arguments spécifiques à leurs intérêts. Donc, nous avons ici la preuve que l'énoncé est à la source de l'organisation.
Récapitulons. 1/ Le langage nomme les Qualités et articule les formules SI Qualité existante ALORS Action réussie. 2/ Le langage, en installant une Qualité symbolique, crée l'attente des choses vérifiant cette Qualité. 3/ Le langage développe les composantes d'une Qualité symbolique afin de bâtir une Référence indiquant l'ensemble des caractéristiques de la Qualité des choses et des personnes impliquées afin que l'action puisse être dite réussie.
Semiodialogie de la logique des prédicats articulant énonciations et actions
Une propriété supplémentaire du langage peut être ajoutée. 4/ Le langage peut construire des Références de Qualité, où la création de Qualité consiste en une simple énonciation. Parler, écrire ou attester permet de satisfaire la Qualité nécessaire à la réussite de l'action. Par exemple, énoncer devant le maire ou le prêtre la formule "Je te jure fidélité et assistance" donne au lien du mariage une solidité qui est censée se maintenir toute la vie. Par exemple, dire "Je te promets de faire telle chose" me met dans une situation d'engagement immédiat. Par exemple, frapper un document d'un sceau ou d'un tampon communique au document le pouvoir de son auteur.
A partir du moment où une énonciation impliquant plusieurs personnes peut se présenter comme la vérification d'une Qualité, les Qualités énoncés apportent de la garantie au lien social. Ici, nous nous retrouvons avec l'ensemble des formules religieuses, magiques ou administratives. Nous avons évoqué la figure de l'éleveur comptant ses vaches il y a 4 000 ans. Nous pouvons évoquer maintenant l'ensemble des cultures des peuples dits "premiers" qui construisent leurs relations sociales au cours de situation ritualisées, où les gestes et les paroles créent immédiatement des Qualités incontestables pour tous. Marcel Mauss a analysé ces situations ritualisées : rituels magiques, rituels de dons et de dons en retour, rituels de destruction de richesses. A suivre Marcel Mauss, nous voyons comment l'énoncé induit des effets qui relèvent de la sociologie.
Par exemple, un objet précieux ou une femme est offert en cadeau. Celui qui offre doit offrir, et celui qui reçoit doit accepter. Au-delà de la valeur de l'objet précieux ou de la femme, ce qui fournit à la relation sa Qualité c'est la soumission au don, à la fois de celui qui donne et de celui qui reçoit. En effet, celui qui reçoit ne peut refuser, et du coup, se retrouve dans une situation d'obligation par rapport au donneur. La soumission à la nécessité du don préfigure la soumission à la future relation. La circulation effective de l'objet dans le don entre le donneur et le donataire est la Référence qui garantit que la relation établie sera forte. Plus la valeur de l'objet est forte, plus donneur et donataire s'engagent l'un par rapport à l'autre.
Objet donné et accepté / Obligation réciproque / ALORS Relation durable possible
Le travail, la créativité, la richesse permettent de nouer des relations fortes de coopération !
Nous pourrions convoquer ici les multiples scénarios sociaux où nous nous soumettons à des rôles obligés. Ce sont ces scénarios sociaux qui font tenir une forme de l'organisation dans le temps. Marcel Mauss aurait dit : "la morphologie de l'organisation". Nous analyserons dans les chantiers décrits dans ce site certains de ces scénarios sociaux. Nous verrons que leur spécificité moderne réside dans le déséquilibre entre le donneur et le donataire et le principe de complémentarité. Poussons plus avant les implications de notre formule. Elle introduit un moyen terme qui permet le commerce des hommes avec les Dieux et avec les hommes.
Donner des objets, des personnes aux Dieux. Donner des Qualités. Avoir en retour le calme des dieux. La Qualité se présente comme un intermédiaire entre deux univers d'action, l'action humaine et l'action divine.
Don fait aux Dieux / Valeur = Satisfaction des dieux / ALORS Non Action Divine
Vente de produits pour de la monnaie / Valeur = Monnaie / ALORS Achat d'autres produit
DEVELOPPEMENT A VENIR
Sur un tout autre plan, la symbolique de la France aura comme Références les festivités du 13 et du 14 juillet : le bal du 13 au soir et le défilé militaire le 14. Ou encore la symbolique de l'amour aura comme Référence la Saint Valentin et l'offrande de roses rouges.
Nous touchons ici ce qui fait la spécificité du symbole comme signe. Le symbole est le signe d'une relation dont il est un des termes. A ce signe-symbole la relation dispose en regard au minimum un autre signe-symbole. Ce qui existe c'est une relation. Aussi, la relation peut s'incarner dans de multiples incarnations matérielles, gestuelles ou picturales : les termes peuvent changer à condition que la relation reste identique au travers des changements. Notons ici ce qui est particulier à l'évaluation d'un symbole. La validité de la relation symbolique formulée sur le plan des signes se prouve par la vérification de la relation au plan des actions. Il y a réalisation de la relation construite par la formule liant plusieurs symboles. Au plan matériel, un signe-symbole se transforme en chose-symbole. C'est pourquoi Levi-Strauss présente la pensée symbolique comme une "science du concret" au début de son ouvrage "la pensée sauvage"
Il faut signaler le contre sens qui fait, en inversant le mode de représentation d'une chose par un signe, d'une incarnation matérielle, le signe-symbole d'une entité abstraite. Par exemple, lorsqu'il est dit que "le drapeau français symbolise la France". Non, il y a une relation de définition mutuelle entre la France comme pays et la citoyenneté française. Une des incarnations matérielles de cette relation est le garde à vous du soldat au pied du drapeau français flottant au vent. Une autre incarnation matérielle de la relation de citoyenneté est de chanter la Marseillaise. Les équivalences peuvent se représenter ainsi :
- Relation entre "Comportements attendus du citoyen" et "Règles de la citoyenneté française"
- Relation entre "Maintien droit du corps" et "Drapeau"
- Relation entre "Passion à chanter ensemble" et "Marseillaise"
La multiplicité des incarnations matérielles augmente à chaque occurence la force de la formule symbolique. Je nomme cette force la force symbolique.

La dimension du dialogique

DEVELOPPEMENT A VENIR
Semiodialogie et action symbolique
DEVELOPPEMENT A VENIR
Semiodialogie de l'articulation entre énoncés et actions
DEVELOPPEMENT A VENIR
Semiodialogie du symbolique
DEVELOPPEMENT A VENIR

Les chantiers présentés sur le site francisjacq.fr

DEVELOPPEMENT A VENIR

Mes chantiers de construction de Références [Qualités connues auxquelles il faut se référer] / dispositif de confrontation des énoncés dans des énonciations aménagées

- Montage en autonomie : les opératrices se construisent leurs références
- Ingénierie de formation : les 5 qualités à promouvoir
- Récit du projet TGV
- Animation : construction évolutives au sein d'une Communauté d'usagers

Mes chantiers de partage de Références [Qualités connues auxquelles il faut se référer]

- GED / Sorosoro . La référence suit des règles de construction et des règles de diffusion
- CVscore : se constituer comme Référence puis mettre en valeur ses références via des argumentations

Mes chantiers de méthode de construction de Références [comment construire les Qualités connues auxquelles il faut se référer]

- Calibrage de projet
- Urbanisation du SI et délimitation d'un projet informatique
- Apprentissage collectif : compétences

Mes chantiers de déploiement d'une symbolique : transparence, innovation, coopération

-Déploiement annuaire des expertises

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