jeudi 6 juin 2013

2007 - Marketing : les SMS et MMS à la maison

Emancipation de l'adolescent hors de sa famille

L'adolescence est le temps de construction de son autonomie. Les outils télécoms et Internet ne font que donner des outils supplémentaires, très puissants certes, à des enjeux immémoriaux.

Enjeu : Construire et entretenir "mes relations à moi"
* Contacter des jeunes d'autres villes, d'autres pays
* Accéder à des communautés internationales
* Entrer dans une communauté de "contacts tous azimuths"
* Participer à des jeux avec joueurs de tous pays
* Appartenir à une bande (ma nouvelle famille)
* Faire circuler vers les autres ce que je reçois des uns
* Récupérer des icones et des contenus des membres de la bande
Enjeu : Je suis seul(e) avec moi
* Je suis seul(e) avec mes images
* J'accède à mes images en tout lieu et tout moment
* J'organise mes photos dans un album photo
* Je télécharge mes photos
* Je suis seul(e) avec mes musiques
* J'accède à mes musiques en tous lieux et tous moments
* J'organise mes musiques dans une play liste
* Je télecharge mes musiques préférées
Enjeu : Se souvenir des "grands moments"
* Afficher des photos et des commentaires
* Créer et entretenir un blog collectif
Enjeu : Organiser une activité (fêtes, sorties)
* Avoir "facile" des infos sur les concerts et les bons plans
* Me brancher sur une sélection de sites "mouv'"
Enjeu : Apprendre à interagir
* Continuer la discussion
* Maintenir la connexion (en tout lieu, en tout moment)
* Maintenir l'interaction (celle qui compte pour moi)
* Je te fais réagir, tu me fait réagir (avec des smileys)
Enjeu : Posséder ma "techno jeune"
* Propriétaire d'un mobile "jeune" (musiques, images)
* Je me fais offrir un mobile
* Propriétaire d'une console de jeux
* Je me fais offrir une console de jeux

La nouvelle donne des communautés Internet

Notre époque se caractérise par le développement rapide d'outils qui nous mettent en réseau, et nous permettent de choisir la facon dont nous communiquons, travaillons et divertissons avec les autres.En particulier, nous constatons trois grands phénomènes :
  • la mise en place de communautés d'apprentissage et d'invention technologique
  • le développement de réseaux sociaux axés sur l'échange d'informations et le divertissement
  • l'entrelacement de la sphère familiale avec des communautés virtuelles ou professionnelles, ce qui pose la question de la gestion des niveaux d'intimité
Si nous considérons l'activité marketing, celle-ci est profondément bouleversée. Tout produit ou tout service doit s'inscrire dans une communauté d'apprentissage et de confrontation avec les attentes des clients-utilisateurs.
La publicité sur le produit et le service doit emprunter les interfaces des réseaux sociaux, et se mettre en valeur par rapport à descontextes de profusion d'informations concurrentes et d'un temps d'attention limité par rapport à l'attraction de multiples divertissements.
Aussi, le marketing emprunte de plus souvent la forme du marketing dit "viral" où la publicité sur le produit se fait l'utilisation de dynamiques communautaires préexistantes. Cependant, sur le long terme, pour faire vivre une gamme de produits et de services, il faut tenir compte des réactions et des enrichissements apportés par les clients utilisateurs réunis en communauté. Cette dynamique d'aller et retour prend la forme d'un processus cyclique auquel il faut donner un centre. Il faut donner une âme à ce processus cyclique. Autrement dit, le marketeur doit devenir un animateur.
Cette page fait un premier bilan à la fois de mes activités d'animateur de communauté et de fréquentation de marketeurs, de sociologues et de webmasters dans des entreprises de services télécoms et Internet.
Semiodialogie du marketing

 

 

 

 

 

 

Pour un modèle théorique de l'animation d'une communauté

L'enjeu de l'animation est de constituer et de faire vivre une communauté. Une communauté se construit autour d'un intérêt. Cet intérêt se construit et se développe à l'aide d'outils maîtrisés en commun. Selon l'antériorité dans la communauté, ces outils sont plus ou moins bien maîtrisés. Donc, une partie de l'activité de la communauté consiste à fournir un apprentissage aux membres débutants. L'animation facilitera ces situations d'apprentissage.
Par ailleurs, la communauté construit du lien entre des acteurs qui ont des identités sociales distinctes. Ces identités sociales ont à cohabiter ensemble. Par principe, ces identités sociales sont différenciantes. Par exemple, une communauté peut faire dialoguer deux experts de métiers ayant des approches méthodologiques radicalement différentes. Ou bien un dirigeant de haut niveau et un jeune collaborateur ayant tout à apprendre. Aussi,l'animation recherchera des complémentarités entre les uns et les autres, afin que des échanges soient possibles.
Enfin, on le voit bien en entreprise, les acteurs appartenant à une communauté ont une existence sociale en dehors de la communauté. Il y a donc une dimension de relations externes à la communauté.Dans cette dimension externe, les acteurs se retrouvent engager dans des relations qui se régulent via des valeurs d'échanges : quel prix faut-il payer pour acquérir une ressource. Cette dimension est eacute;conomique.
Primo, ma thèse est qu'une communauté se situe par rapport à une triangulation de relations symboliques de trois natures différentes. Ces trois relations symboliques sont typées par des formes différentes d'engagements.
  • l'outil se présente à ses utilisateurs comme des contraintes à respecter : les conditions d'usage, les gestes à faire, les précautions à prendre
  • l'identité sociale nous positionne à long terme dans un engagement par rapport à une famille, une appartenance culturelle, des relations professionnelles
  • la communauté se présente comme des relations symboliques plus souples, qui peuvent être modulées dans leur intensité et dans leur durée.
Secundo, ma thèse est que les développements des relations symboliques se font par articulations entre des natures différentes de relations. Au minimum, il y a articulation entre deux natures de relations symbolique.
Je me place ici dans un modèle théorique qui propose des articulations entre trois natures de relations symboliques afin de disposer d'assez de finesse pour rendre compte de la complexité des situations concrètes.
En anticipant sur le détail de mes analyses, je pose trois grands modes d'articulation :
  • l'articulation par la compétence
  • l'articulation par la distinction
  • l'articulation parl'économie
Je propose donc un modèle qui agence la triangulation suivante :

Jacq triange relations symboliques
Ce modèle est statique. Il faut l'envisager dans sa dynamique. C'est ici qu'intervient l'animation. L'animation ne peut s'exercer que dans l'enceinte des relations dites de "communautés". L'animation, pour s'effectuer et réussir devra donc :
  • prendre en compte l'influence des autres natures de relations symboliques
  • faciliter les articulations respectives, par exemple en facilitant l'apprentissage ou en n'ignorant pas les règles économiques existant en dehors de la communauté
Cette approche renouvelle ce que le marketing nomme l'usage d'un produit ou d'un service. A travers un produit ou un service, appréhendé sous la généralité d'un outil, je préconise d'envisager trois dimensions :
  • comment la compétence à utiliser cet outil nous inscrit dans une communauté
  • enfin comment se développe une tension de distinction entre notre identité sociale et notre appartenance à la communauté
  • comment l'économie, via le passage de la valeur d'usage de cet outil à sa valeur d'échange, contribue à faire évoluer notre identité sociale
Pour donner l'intuition de ce "triangle des relations symboliques", je propose de mettre en scène l'animation d'un groupe de cinq collaborateurs d'une entreprise fictive dénommée BlueLine. Ces cinq collaborateurs sont respectivement:
  • un marketeur chargé de développer le marché de produits et de services "Maison communicante"
  • un marketeur chargé de développer les usages SMS et MMS sur le marché des jeunes entre sur la tranche d'âge 12/25 ans
  • un marketeur chargé de réfléchir à aux produits et services entrelaçant la sphère familiale et la sphère professionnelle
  • un sociologue spécialiste de l'organisation de la vie familiale
  • une étudiante préparant une thèse de sociologie sur l'usage par les adolescents des messages télécoms et des réseaux sociaux.
Enfin, il faut ajouter à ces cinq personnes l'animateur.
Dans cette mise en scène fictive, deux communautés types sont envisagées : la famille et le réseau social "adolescent". A un extrême, une communauté réduite, intensive, à l'autre extrême, une communauté sans limites, extensive.

Vivre son désir grâce à la rupture technologique

Pour les marketeurs, une "nouvelle technologie" se définit comme "nouvelle" lorsque, par sa force transgressive, elle apparaît comme un outil de réalisation d'un désir jusque là impossible. Avant telle ou telle technologie, la vie était ordonnée par une série de règles sociales, de valeurs culturelles, de contraintes matérielles. Le désir se présente sous la forme de fantasmes fugitifs. Avec la nouvelle technologie, la contrainte matérielle disparaît, le désir devient réalité et s'accomplit dans de nouvelles règles et valeurs sociales et culturelles.
Prenons l'exemple du Wifi à domicile. Il devient possible d'accéder à internet en tout point de la maison sans "fil à la patte". De là, les marketeurs ont imaginé un nouveau paradigme de "mobilité à demeure" qui chasserait le paradigme de la "maison bourgeoise".
Depuis deux siècles, notre habitat s'organiserait autour de pièces aux rôles bien définis, selon le modèle de la maison bourgeoise du XIXème siècle. L'introduction de la télé dans la cuisine ou de l'ordinateur dans la chambre a brouillé cette organisation traditionnelle. Le mobile et le Wifi viennent la chambouler plus encore : chaque coin de la demeure devient un espace potentiel de loisir comme de travail. On se dirige donc vers une réorganisation de l'habitat, où chaque pièce devient un mini loft multifonctionnel. Chacun avec son désir "où je veux quand je veux" va bouleverser nos espaces intérieurs et nos relations familiales.»
L'animateur note que les transgressions se font par la réunion des contraires : demeurer/se déplacer, intérieur/extérieur, loisir/travail, pièce uni fonctionnelle / loft multifonctionnel, coin/espace. La spécialisation s'efface au profit du multi fonctionnel.
La technologie de la mobilité remet en cause la spécialisation des habitats et ouvre la possibilité de nouvelles transgressions.
* la bi ou multi mobilité entre ses habitats, en ville, au travail, à la campagne, en vacances, chez les amis
* des habitats mixant les genres tels des hôtels proposants à la fois des chambres et des logements meublés,
* la mobilité de la maison elle-même, en "étant mobile-home" ou meubles à roulette,
* la surveillance ou l'entretien à distance de la maison via des agents ou des robots électroniques.

La réaction des sociologues

L'excès de la proposition marketing est manifeste : on n'imagine pas que chaque chambre soit également une cuisine et une salle de bain, tout comme on n'imagine pas que, dans le salon, la table familiale se transformerait en lit double abritant les ébats des parents!
La cheville de ce raisonnement réside dans un univers agrégeant des usages : "la maison". Cet univers était défini par une propriété fondamentale : "la définition fonctionnelle de chaque pièce". La mobilité se traduirait par une nouvelle propriété, "la multi fonctionnalité",qui chasserait l'ancienne propriété.
Le raisonnement marketing porte en fait sur autre chose que la maison "bourgeoise" prise en son entier. Le raisonnement porte sur une "maison de culture bourgeoise". La transformation est une transformation de type culturel. C'est dans une famille de culture bourgeoise, une transformation dans les modalités culturelles d'échanger avec les autres et de traiter l'information.
Plus précisément, les marketeurs raisonnent "maison" en tant que la maison permet une insertion de la technologie. La faute de raisonnement consiste à identifier "maison" et "culture familiale". Si la technologie introduit une rupture dans l'équipement classique de la maison, il apparaît difficile d'affirmer que la culture familiale va vivre une rupture radicale !
La "rupture du paradigme traditionnel" apparaît donc contestable, car elle fait l'impasse sur:
* l'existence de multiples façons d'habiter une maison en famille, l'existence de multiples cultures familiales par rapport à "habiter ensemble une maison"
* l'articulation entre la définition fonctionnelle et culturelle de chaque pièce (préparer à manger, recevoir des amis..) et la possibilité d'introduire de nouvelles fonctionnalités liées aux activités culturelles ou de traitement de l'information.
Cette impasse pourrait expliquer le constat – incroyable mais incontestable – d'une absence de dialogue entre les marketeurs et les services de Relation client. Les marketeurs raisonnent par rapport à une maison utopique qui fait l'impasse sur la maison réelle alors que les chargés de la Relation client sont aux prises avec la diversité de réalités familiale terre à terre : les erreurs répétées dans l'entrée d'une clé WEP par une mère de famille cernée d'enfants chahuteurs, l'incompréhension des indications de notice par une personne âgée, etc.

Comment les sociologues voient la maison familiale

Alors que les marketeurs font l'impasse sur la réalité et l'épaisseur de la culture, nous en ferons notre point de départ. Nous partirons des différentes cultures présentes dans une maison. Chacune de ces cultures introduit un univers virtuel dans la maison.Symétriquement, différentes parts de la maison fournissent des assises à ces univers culturels et virtuels. La maison apparaît donc comme un "hyper univers", un univers à N cultures. L'articulation entre ces univers se révèle comme issue d'une négociation de pouvoir aux frontières de ces univers. Par exemple, plus que la monofonctionnalité de chaque pièce, ce qui caractérisait la maison bourgeoise était d'une part l'existence de l'office qui permettait de cantonner le service et le personnel de service hors de la sphère "officielle" de la famille bourgeoise, et d'autre part la ou les chambres d'enfant qui isolaient les enfants de la sphère des adultes.
Voici une proposition de dix univers culturels présents dans une maison. Huit de ces univers peuvent être considérés comme familial :
  • La maison habitation et ressourcement : un lieu pour se nourrir, se laver, se reposer et dormir.
  • la maison protection : un lieu où garder en sureté ses papiers, son argent, ses données, ses meubles
  • la maison organisation : un lieu pour se préparer et s'organiser en fonction des différentes activités sociales (habits, lettres, stylos, agenda..)
  • la maison atelier : un lieu pour stocker ses outils et faire des opérations d'entretien ou de fabrication
  • la maison mémoire et "cabinet de curiosités" : un décor pour présenter les vues et les objets de ses voyages imaginaires
  • la maison "espace d'intimité" pour le couple
  • la maison comme "espace de soins, d'éducation, d'émancipation" des enfants
  • a maison comme lieu de réception des amis et de partage de loisirs
Deux autres univers prennent assise dans la maison, mais introduisent une dynamique de conflit par rapport aux autres univers déjà décrits :
  • la maison comme lieu de télétravail
  • la maison comme "coquille du joueur en réseau".
Comme ces univers sont en cohabitation plus ou moins conflictuelle, les impacts des outils et services télécoms sont à évaluer en tant qu'ils redistribuent les termes de cette cohabitation conflictuelle. Deux redistributions sont bien connues, car sources de conflits entre conjoints ou entre parents et enfants:
- l'activité sur l'ordinateur d'un des conjoints empiète sur la vie de couple : le conjoint est là, mais est "ailleurs"
- le temps passé par un ado sur des jeux vidéo multi joueurs empiète sur le temps consacré au travail scolaire.
D'autres redistributions sont moins conflictuelles si l'on considère les impacts de la télévision sont multiples. Deux tendances apparaissent:
- augmenter "l'être ensemble" des membres de la famille dans le salon ou la cuisine devant un récepteur en fonction des moments du programme
- développer l'isolement des personnes, par la spécialisation du programme regardé
Suite à cette confrontation des opinions entre les marketeurs et les sociologues, l'animateur propose une approche objective de l'appropriation des nouveaux outils télécoms.
Jacq triange relations symboliques competence

La nouvelle "socialisation des usagers" des services de télécommunication

Les nouveaux services de communication ont ceci de particulier qu'ils se caractérisent par:
l'importance donné aux activités de communication via de la technologie qui médiatise de plus en plus le face à face
la participation à des communautés d'activités, rendus possibles par la levée des contraintes de temps, d'espace, de barrières sociales grâce à de la technologie, se motive via des interactions sur du "contenu"
Les activités de communication via de la technologie s'accroissent-elles au détriment des activités de face à face ? ; Les enquêtes de l'Insee montrent une diminution très sensible des contacts en face à face physique, ce qui a conduit les enquêteurs à donner comme titre à leur article : "les français se parlent de moins en moins".
Cependant, il y a une modification dans la façon de développer ses communications avec les autres.D'autres enquêtes montrent au contraire un accroissement des contacts médiatisés aussi bien en nombre de contacts qu'en nombre de correspondants. L'analyse fine de la sociabilité montre que plus on se voit, plus on s'appelle.
La progression vers le contact intime, vers un engagement fort entre deux personnes, se mesure par une augmentation des médias utilisés.
Chez les adolescents, la rencontre peut être initiée dans un chat collectif, avant de basculer dans un échange privé via le texte ; quand la relation devient plus intime, les numéros de mobiles sont échangés, ce qui permet d'enrichir l'échange par la voix, avant d'en arriver à la rencontre en face à face.
Les travaux menés ces dernières années et confirmés aujourd'hui à plus grande échelle, montrent que plus la relation est intime, autrement dit plus le lien est fort, qu'il soit amoureux, amical, professionnel ou commercial, plus le nombre de canaux utilisés pour entretenir le lien se diversifie. Téléphonie, SMS, mail, messagerie instantanée sont réservés aux plus proches.
Ceci conduit à affirmer que les échanges médiatisés par les outils télécoms prennent une place de plus en plus importante dans le développement des relations sociales.
Grâce aux outils télécoms, avec la levée des contraintes de temps, d'espace, de barrières sociales, la participation à des communautés virtuelles permet de multiplier les interactions sur différents types de contenus. Des contenus peuvent se construire des liens avec le service (les vidéos autoproduites postés sur des sites de publication) mais aussi des liens entre consommateurs sur une multitude d'espaces d'échanges autour des biens culturels (recettes de cuisine, expositions, livres..).
Voici une rapide typologie de ces espaces d'échanges :
Communautés de rencontres ou de vécus d'événement centrées sur les Emotions à autrui : Meetic,FaceBook..
Communautés de diffusion d'évaluation de produits : achat à bas prix type ebay ou lastminute.com
Communautés de diffusion de normes culturelles : commentaires sur des recettes, sur des livres, sur des expositions
Communautés d'apprentissage : logiciels, médicaments
Communautés d'exploration du réel : Journalisme, commentaires d'actualité, photos
Communautés de prises de risques, de transgression : sites sur le sexe, sites sur l'anorexie
Communautés de défis ou jeux avec récompense
Pour un usager, un service télécom devient beaucoup plus que l'usage d'un produit de communication. Un service télécom est la possibilité de se socialiser au travers d'une d'implication dans l'évolution Télécoms de la société.
Les compétences dans l'usage des fonctionnalités des produits télécoms deviennent des signes distinctifs de socialisation "techno-communauté". Les compétences dans les usages télécoms et communautaires deviennent des signes ostentatoires de socialisation : faire savoir aux autres que l'on maîtrise tel ou tel mode de socialisation et que l'on appartient à telle ou telle communauté (Considérons la vogue autour del'IPhone !).
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La multiplication des identités sociales et appartenances narcissiques

Maintenant, l'animateur propose d'explorer les impacts des outils télécoms sur les identités sociales.
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Le produit est une réalité incontestable. L'usager est également une réalité incontestable. Cependant, il faut élargir le champ de perception des réalités. Le comportement d'implication dans une ou plusieurs techno-communautés doit être considéré comme une réalité tangible.
Cela permet d'explorer une facette essentielle du service Télécom. Le service Télécom n'est pas simplement un service d'utilité à usage "personnel". La personne se construit socialement en se donnant des images d'elle-même. Narcisse multiplie ses images sociales, en multipliant ses appartenances. La technologie Télécom permet de donner un corps numérique aux "reflets de soi-même" puisque elle assure le stockage, le partage et l'échange des avatars, des photos, des sons, des vidéos.
En fonction du degré de comportement d'implication active,le service Télécom permet le développement :
* de participation à des évènements de masse
* d'agrégation sociale à des communautés, sous la forme de partage ou de construction de communauté.
* de reconnaissance par les autres de ses contributions personnelles
Le service Télécom va donc s'accompagner d'une panoplie de services de communication, de partage en communauté ou d'aide à l'expression. Un mode de partage et de reconnaissance passe par l'image, la voix, la vidéo (action + voix + image). Un autre mode de partage passe par la construction en commun d'un système informatique, ou d'un système d'échanges peer to peer .
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L'ambivalence "valeur/contrainte" dew services Télécoms

L'animateur propose d'explorer la dimension économique.
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Les marketeurs ont privilégié une approche des services télécoms de type "valeur". Un service Télécom m'apporterait les services suivants :
  • un service qui me fait économiser du temps
  • un service qui me permet d'optimiser une plage de temps
  • un service qui me permet d'être socialement dans deux lieux à la fois
  • un service qui me permet d'être dans deux contextes sociaux différents.
  • Un service qui me permet une grande proximité à un évènement
  • Un service qui me permet une réactivité par rapport à une information
Cependant, un autre phénomène doit être pris en compte: l'extension de la mise en réseau à des gens très différents dans leurs besoins de socialisation. Les socialisations actives des uns vont se traduire par des socialisations passives pour les autres.
Un cadre souvent en mobilité coopérant avec un réseau étendu de personnes va développer une utilisation intensive des services de communication. Par contre un employé enserré dans un environnement de travail répétitif sera en position passive d'implication dans des échanges télécoms.
Selon le processus d'implication dans cette socialisation Télécom, on peut donc distinguer entre une implication ""active" ou "passive"<. Dans les entreprises, on note des écarts entre des métiers très outillés, très informatisés, avec une forte intensification mentale du travail intellectuel et des métiers qui restent peu affectés par la numérisation, car vivant sur des rythmes anciens. Un quart des salariés n'ont aucun outil de communication à leur disposition.
En province, beaucoup de foyers n'ont que le téléphone fixe. On note de plus en plus les tensions dans les relations intergénérationnelles entre retraités et leurs enfants adultes et actifs : le temps à partager n'est pas le même. Se dessine une société duale dont une partie serait très eacute;quipée, avec des usages avancés, et l'autre partie, ignorante de la révolution télécom. D'un côté on aurait des groupes sociaux très contraints sur le temps, de l'autre des groupes avec des temps plus dilatés.
Au-delà de ces contraintes économiques globales, même s'il dispose d'une capacité économique, l'usager veut pouvoir maîtriser la part de "contact médiatisé" dans ses relations avec les autres. L'arbitrage le plus évident est budgétaire.
Par exemple, l'introduction par Bouygues du compte bloqué a permis le développement du marché mobile. Grâce au compte bloqué :
* Il y a maîtrise de la consommation de "contact médiatisé" grâce à la perception d'un seuil de dépassement du budget initial.
* et une maîtrise parentale des "contacts médiatisés" des adolescents dans la famille
On voit donc apparaître au niveau marketing un concept de "maitrise du rapport valeur d'échange monétaire / valeur d'usage".
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Si les usagers demandent donc des services qui soient des supports d'arbitrage des valeurs usage / valeur monétaire, leur demande va encore plus loin. Les usagers demandent également à maîtriser les antagonismes entre les usages liées aux différentes techno communautés.

La maîtrise émotionnelle des identités sociales et appartenances narcissiques

Au-delà du clivage "activité / passivité" dans le contact médiatisé, il faut envisager des dynamiques antagonistes de socialisation médiatisé. La technologie télécom met la personne, par la virtualisation des contacts, en situation d'interaction simultanée dans de multiples communautés sociales : la famille, les cercles d'amis, les collègues de travail, les contacts professionnels, etc..
Une communauté d'usage fait intervenir une série de contraintes de "temps", de "lieu", de "règles du comment communiquer", de "règles du comment partager", de "règles du comment s'amuser". Lorsque plusieurs contraintes issues de plusieurs communautés se télescopent, cela crée une situation de tension pour la personne qui devient "multi-usagers". Cette tension se matérialise dans la limitation du temps consacré à chaque usage.
On observe une tension croissante entre une offre foisonnante en termes de réseaux, de terminaux, de services et de contenus et une capacité de consommation limitée par des contraintes aussi basiques que la durée de la journée. La question du temps disponible devient un enjeu majeur.
Dans un contexte de prolifération de l'offre, la ressource rare devient le temps. La valeur d'un service se mesure non seulement par le temps qu'on lui consacre, mais aussi par l'efficacité de ce temps. On va vers une économie de l'attention.
L'engagement dans des activités multiples induit des capacités cognitives nouvelles. Les jeunes sont capables de mener plusieurs discussions en parallèle, de converser tout en faisant des recherches sur le web ou en regardant la télévision. Au travail aussi, il y a un morcellement croissant des activités et le développement d'une aptitude au multi tâche.
Cependant, malgré ces nouvelles capacités cognitives, il n'y a pas de miracle. Le temps d'attention reste une ressource limitée. Cela peut se formuler comme une dissociation croissante entre l'acquisition et la consommation. Les disques durs et les Cd regorgent de MP3 ou de DIVX , les vidéothèques, les CD thèques grandissent, mais le taux consommation ne cesse de diminuer. Accumulation, et consommation ne se font pas au même rythme. Il ya le passage d'une consommation intensive, peu de biens plusieurs fois consommés, à une consommation extensive, beaucoup de biens, survolés, à peine écoutés, vus en accélérés.
A coté de l'économie de la tension intellectuelle, il faut aussi prendre en compte l'économie de la tension émotionnelle. La tension entre la rencontre virtuelle de plusieurs techno-communautés peut engendrer des charges mentales et émotionnelles. Voici trois exemples classiques issus de l'usage de l'Internet, de la téléphonie mobile et des messageries:
* la socialisation des adolescents dans des communautés de jeux ou de bande se fait au détriment des activités scolaires ou sociales souhaitées par la famille
* les collaborateurs d'une société peuvent utiliser leur temps de travail pour régler des affaires personnelles
* à l'inverse, le temps à domicile peut être consacré à régler des affaires professionnelles.
La multiplication des images narcissiques numérisées entraîne l'usager des services Télécoms dans un enjeu de maîtrise de sa charge émotionnelle. La personne comme "multi-usagers" se retrouve donc à opérer une série d'arbitrages.
Les services télécom s'accompagnent donc d'un coût en terme de la charge mentale qui est nécessaire pour gérer les adaptations et les séparations entres les différentes sphères de socialisation communautaire. Il est demandé aux services de s'adapter aux différentes situations sociales possibles de façon à cloisonner les différentes sphères. La multi appartenance amène des besoins de services "méta services" afin de diminuer la charge émotionnelle : la liste de contacts, l'agenda.
Cela amène des besoins de services de sécurité afin que des échanges dans une sphère n'entraînent pas une interpolation abusive, sinon une prédation entre sphères. La demande se développe de services qui permettent à l'utilisateur d'adapter ses outils et services selon la façon dont il veut gérer la frontière entre la sphère privée et la sphère rofessionnelle.
Avec cette économie du maintien des identités sociales, le schéma se reboucle sur la dimension de la distinction.
L'animateur peut légitimer l'ajustement en un seul l'ensemble des trois natures de relations symboliques selon leurs articulations respectives.

Schéma d'ensemble des natures et forces symboliques d'un service télécom

Jacq triange relations symboliques telecom global
Maintenant que nous disposons de cette grille d'analyse mettant en valeur les spécificités d'un service télécom, il nous reste à la combiner avec des univers culturels.
L'exemple des univers culturels co-habitant dans une maison, considérés dans la première phase de l'animation, est intéressant car cela permet d'aborder de front ce paradoxe d'une interaction entre deux dynamiques plutôt opposées:
- les univers culturels d'une maison sont plutôt des univers de mise en retrait, de gestion de ressources, d'organisation, de discipline
- les univers induits par les services télécoms sont des univers de types communautaires développant des règles du jeu qui leur sont spécifiques.

Comparaison des services SMS et MMS dans les univers culturels de la maison

Développons ce schéma par rapport au cas du SMS. Il est reconnu que le SMS a la faveur des adolescents car il permet de développer un univers spécifique de communication écrite, en parallèle d'une présence physique.
Le SMS est très précisément un service qui facilite la cohabitation plusieurs univers culturels dans la maison. Il permet à l'adolescent, dans l'univers de "développement de l'adolescent", d'entretenir des contacts étroits avec ses amis et ses camarades sans pour autant perturber les autres univers de la maison "espace d'intimité du couple" ou "réception des amis".
Par rapport à une mission "maintenir le réseau relationnel", la compétence réside dans la capacité à "écrire des messages courts en parallèle d'une présence relationnelle effective" ; le narcissisme se développe via "le codage ludique partagé par les membres de la bande". En terme de gestion d'énergie émotionnelle, le SMS est peu consommateur car il minimise les interpolations entre l'écrit rapide et des situations familiales orales. En situation de travail scolaire à la maison, le codage "ado" n'entraine pas de surcharge cognitive car il se différencie de la langue réglée de l'école. Enfin, le SMS étant peu coûteux permet l'envoi du grand nombre de messages nécessaire à l'entretien d'une relation entre ados.
Considérons maintenant le MMS. SMS et MMS sont considérés comme des équivalents par les marketeurs. Pourtant, dans la maison, le MMS apparaît comme satisfaisant difficilement les caractéristiques de la mission "maintenir le réseau relationnel des amis et camarades » sans perturber les autres univers. La série des actions 1/ Prendre une photo, 2/ Insérer la photo dans un "format message", 3/ Rédiger un message en fonction de la photo entraîne une activité complexe difficilement compatible avec une disponibilité familiale. De plus, la source "maison" de la photo transgresse le principe de la maison comme "espace d'intimité du couple". Le MMS ne peut être qu'un message construit par l'ado dans sa chambre.
Le MMS deviendrait plus facile si l'ado disposerait, à l'image des messageries Internet, d'une série d'émoticons. L'émoticon viendrait alors comme une ressource de codage supplémentaire dans un message court.

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